Une postface, c’est la clôture d’un livre, une fois parcouru ses lignes, qu’en reste ‘il ? Je suis honoré que Peggy ait pensé à moi pour cet acte. Ce livre donne la parole à l’Autre et lui demande ce qu’il pense de ce qu’on lui demande de faire. Cela s’appelle dialoguer et obtenir si possible un consentement. Cela suppose que l’Autre, ici un animal de l’espèce cheval, est notre égal. Sinon pour quoi dialoguer et chercher l’adhésion ? Inutile. Alors merci Peggy d’ouvrir le débat de cette façon.
Pour m’aider à démarrer ces lignes, j’avais reçu une liste de questions pour lesquelles elle pense que le professionnel que je suis [1] peut apporter un éclairage différent, pourtant j’ai envie que cette clôture, cette postface, devienne plutôt une ouverture. Aussi, je vais suivre un autre cheminement avant d’y répondre de manière détournée.
Peggy vient par ces pages de faire le tour de ce que peut penser un cheval des activités qu’on lui demande en utilisant un outil qui peut être merveilleux : la communication intuitive. Ma première rencontre avec quelqu’un qui pratiquait cet art fut explosive dans le sens où en quelques minutes, j’ai compris que ce qui se racontait sur le soin du cheval [2] que j’avais sous les mains était absolument vrai. Et aussitôt, j’ai compris que le postulat qui faisait de nous une espèce dominante, d’intelligence supérieure et seule consciente était rien moins que faux, honteusement faux. Et alors m’ont littéralement submergées, plusieurs heures durant, toutes les sensations, toutes les émotions sans mots que mes mains avaient glanées jusque là dans le corps des chevaux et j’ai su que je ne pourrai plus jamais travailler comme avant. Trop dur de revenir dans ces écuries où la peur se lit dans le moindre muscle, difficile de me taire. Et pourtant émotionnellement incapable de nouer un dialogue direct avec cet animal dont l’immense cœur le précède. Animal tellement généreux, tellement empathique que je ne projette pas de finir ma vie sans lui ériger une statue. Pourtant, avant de répondre à ces questions, il me faut ouvrir l’angle de perception.
La vie ? Qu’est-ce qu’elle est ?
– Matière, chimie, diront les uns, les plus nombreux, les plus sérieux et « scientifiques », les mécanistes.
– Elan vital, champ de conscience qui modèle la matière diront d’autres bien moins écoutés en ce moment, les vitalistes.
La communication intuitive a choisi son camp, en ce sens qu’elle sait interpréter avec des mots les informations contenues dans le champ vital. Je dis bien interpréter car la lecture dépend de la culture et des intentions du « piocheur » d’informations. La parole, mais aussi n’importe lequel de nos sens peut servir de media de lecture du corps de l’autre. Aussi c’est tout son propre corps qui enregistre et lit l’autre dans la rencontre qui est proposée. Ce n’est pas de l’anthropomorphisme, c’est une comparaison des éléments glanés dans l’autre avec la seule chose dont nous puissions parler, c’est-à-dire de nous-même.
Aussi, ce n’est pas l’aspect technique qui me semble fondamental dans les pages que nous venons de lire. Ce qui est fondamental c’est qu’elles puissent exister, parce que la vie est une et indivisible, que le cheval est un être conscient à part entière, que nous sommes liés à la vie qui nous entoure et que ce qui est mis en avant c’est que nous manquons cruellement d’écoute. Et qu’au lieu de nous considérer inscrits avec les animaux et les plantes comme dans un cercle, à la même hauteur donc, nous nous sommes imaginés être sur une pyramide dont nous représentons le sommet.
Nous ? Non, car même entre humains la pyramide est là prégnante et inamovible et le sommet des puissants écrase le commun des mortels et tous nous transmettons cet écrasement vers le bas. Par cette pyramide, nous nous croyons tout permis et notre vaisseau spatial et les êtres qu’ils portent en souffrent. Changement de climat, perte de biodiversité, pollutions, ubérisation des masses atteignent un paroxysme qui risque de donner la gueule de bois à l’humanité, la planète mettra du temps à nous digérer, mais elle s’en remettra sûrement.
Et au milieu de ce tableau peu encourageant, le cheval est là à continuer de nous donner de l’amour et de son énergie, accompagnant encore et toujours le gamin turbulent et inconscient que nous [3] sommes. Ce don de lui-même nous demande une seule chose : le respecter en tant que frère.
Alors, effectivement débourrer trop tôt un cheval est une ineptie. Moins de trois ans, l’équivalent d’un enfant de moins de 10 ans … qu’on met au travail à seule fin de rentrer sa vie dans une perspective économique. Pourtant, les enfants qui travaillent pour nos besoins matériels existent encore et toujours dans le monde … Ce que nous faisons au cheval, nous nous le faisons. Indépendamment de cet aspect, combien de chevaux d’endurance ai-je vu qui débourrés après 6 ans qui étaient de vrais champions. Alors oui, écouter, respecter, se montrer patient … est le B+A=BA avec notre ami cheval.
Alors effectivement on obtient le meilleur d’un cheval en l’incitant à aimer ce qu’il fait en lui donnant les conditions de vie les meilleures. Alors bien sûr, le cheval de nos écuries n’aura pas de steppe à parcourir en troupeau. Nous-mêmes n’avons plus cette possibilité nomade. La propriété a morcelé notre propre espace en plein d’interdits [4] . Le cheval devra nous suivre dans ce délire. Saurons-nous alors lui donner au moins un minimum d’espace et de contact avec ses congénères ou bien le contraindrons nous à rester dans son boxe comme ces adolescents japonais qui restent cloitrés des mois entiers dans leur chambre [5] . Là aussi ce que nous faisons à certains chevaux, nous nous le faisons. Sommes-nous obligés par aspect pratique de lui donner une alimentation pour laquelle son tube digestif n’est pas prévu ? Car malgré les recherches en nutrition, qui nous montrent que l’amidon n’est pas foncièrement mauvais, il se trouve que trop, c’est trop. Pourtant, pensez à la nourriture industrielle que nous nous infligeons et dont on sait maintenant qu’elle nous entraine dans de nombreuses maladies (obésité, diabète, dépression). Là encore, le cheval nous suit généreusement et nous accompagne dans cette impasse. Et puis effectivement, nous en sommes là parce qu’Il s’est mis à disposition pour être « travaillé ». Je dis bien qu’Il s’est mis à disposition, Il a abandonné sa vraie vie de cheval pour nous apporter ce qui nous manque et Il est content de l’offrir à son humain, pour peu que celui-ci le respecte et lui ouvre son cœur en retour. Et les erreurs de monte que nous pouvons faire ou les erreurs de « gardien » ne sont pas un vrai problème dans la plupart des cas. Inutile de ne pas chercher à s’améliorer pour autant ! Il pourra aussi être à l’aise avec un groupe d’humain, s’il sent que sa place est appréciée, il en tirera même une certaine fierté. Mais si les humains autour le prennent pour une « mobylette », alors le lien sera cassé et au lieu de la joie de nous faire plaisir dans nos objectifs, la peur s’insinuera en lui et c’est un zombie que l’on trouvera, complètement amorphe ou a contrario un animal hypernerveux et dangereux. Effectivement certaines filières ont instauré des règles qui amènent régulièrement cette misère animale, trop pressés que nous sommes, et avec trop de pouvoir en jeu. Un cercle vicieux s’installe alors qui mène à l’échec patent et à la violence. Mais ceci n’est’ il pas un miroir de nos relations humaines ? Les gilets jaunes n’étaient que la réaction à un mépris constant que la pyramide sociale instaure sans discontinuer.
Alors, oui, acquérez un cheval, c’est une façon de ramener près de soi un bout de cette relation perdue avec la Vie et Pégase saura vous le rendre. Mais n’oubliez pas, je vous en conjure, décider d’être le gardien d’un cheval, c’est décider de s’occuper d’une Personne, c’est autant de responsabilité que de décider d’adopter un enfant [6]. Oui, aidez-vous des pages de ce livre pour, dans la philosophie et la technique, apprendre à mieux respecter votre ami cheval. Souvenez-vous qu’empathie et respect ne veulent pas dire mièvrerie et souvenez vous que lui apprendre les règles qui s’imposent à lui, à vous, demandera parfois de la persuasion ou de la confrontation ferme : de la même façon qu’avec nos ados. Respectez avec lui le quatrième accord toltèque : faites de votre mieux et sachez que votre mieux change à tout instant. Essayez tous les jours autant que faire se peut de faire évoluer son environnement vers du meilleur, vers de la douceur. Pourtant ne vous en voulez pas si vous n’arrivez pas à lui offrir l’image du mieux que vous avez dans le cœur. Un simple regard sur la société nous fait comprendre à quel point nous ne faisons que surnager dans un courant chaotique, violent et incontrôlable. Et une fois cela dit, il ne vous reste qu’une chose à faire, lui ouvrir votre cœur, recevoir en échange un déluge de tendresse et VOUS faire plaisir avec l’activité que vous projetez. Et avec lui, avec eux, vous toucherez le vivant du bout du doigt et si vous l’écoutez, les écoutez, il vous fera (feront) changer dans votre pensée, dans vos actions vers davantage de respect du monde qui nous entoure.
Jeune étudiant vétérinaire, je m’étais promis de ne pas soigner les chevaux : ces animaux trop fragiles et avec des propriétaires compliqués. Arrivé en Guadeloupe j’ai travaillé chez le seul vétérinaire qui en soignait, puis de fil en aiguille, j’ai appris à les connaître, à les soigner, à les toucher en profondeur, à les aimer. Ils n’ont rien de fragile, ce sont des montagnes d’amour sur pattes. Maintenant, J’ai moi-même des chevaux, je fais du mieux que je peux … Et vous ?