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Publié : 27 septembre

Fernand ...

Fernand est mon grand-père … Il est mort d’une crise cardiaque 4 ans, quatre, avant que je naisse. Pourtant à 44 ans, quarante quatre, j’ai compris qu’un événement majeur de sa vie émotionnelle avait servi de trame à ma vie sans que je ne m’en rende compte jusque-là.

Il est dit dans certains milieux que des portions de la vie des ancêtres pourraient s’engrammer dans notre corps et, tels des sous-programmes comportementaux, se mettraient en route dans certaines circonstances déterminées.
Le choix alors fait, au moment d’une décision parfois cruciale, serait celui de l’aïeul et non pas forcément le choix que nous aurions fait de nous même.

Mais comment diable cela peut-il fonctionner à l’heure de la génétique et de l’ADN triomphant ? Il y a sûrement mille réponses qui restent à découvrir et nécessitent un changement de conceptualisation du corps et de la vie. Mais pourtant, même la génétique découvre qu’il y a dans l’ADN des tonnes de copies inexploitées (bêtement appelées ADN poubelle …) qui peuvent se révéler au hasard d’un événement dans la vie et se transmettre à la génération suivante. Cela est décrit par l’épigénétique. J’ai ainsi lu qu’un homme foudroyé et sauvé, avait muté ses gênes après l’événement et que cette trace s’était transmise à ses enfants …

Mais quelle que soit l’explication vraie ou plausible, il se trouve qu’à 4 ans je voulais être pilote d’avion ou vétérinaire dans les Pyrénées. A force de détermination je suis devenu les deux….

Alors quand ce dimanche après-midi-là vers 16H, lors d’un stage auquel j’assistai sur ces fameuses mémoires tout à coup projeté dans un espace de conscience modifiée, je me suis vu avec des soldats allemands devant moi et les chevaux qui s’emballent et passent attelés à travers le groupe, j’ai compris qu’en agissant ainsi les chevaux venaient de sauver ma vie ou plutôt celle de Fernand. Les Allemands bredouilles lui ont juste fait subir quelques jours de détention faute de preuve. « La marchandise », in extenso, les gens à qui il faisait passer la ligne de démarcation, s’étant volatilisée, le flagrant délit tenté par le guet-apens n’avait plus de sens. J’ai aussi compris, qu’après, le « juste » avait dû mettre de l’eau dans son vin … pour sauver sa famille. Moins glorieux, mais nécessaire à ses yeux.

On en parlait peu dans la famille justement, pourtant Grand-mère, Laurentine, m’avait bien une fois raconté un peu l’histoire de Fernand le passeur pour un exposé de troisième, mais pas avec tant de détails que ceux qui venaient de me sauter à la figure. Une situation si réelle … J’y étais.

Le lendemain midi, suite de cette « révélation », alors que j’avais toujours bu mon café sucré et trouvé “dégueu” le café sans la douceur de cette poudre blanche. Ce jour-là, donc, j’ai recraché la gorgée de mon café sucré tellement ce n’était pas bon et que me resservant du café non sucré je l’ai trouvé infiniment meilleur … Inversion de goût brutale qui tonnait tel un ciel d’orage. A cet instant là, ont surgi de ma mémoire de moufflet les kilos de sucre entreposés dans le placard de grand-mère. On ne sait jamais, au cas où la guerre recommencerait !

Je n’ai plus jamais bu de café sucré. Dont acte.

Puis, huit jours plus tard, montant à la montagne avec les enfants pour une balade avec des ânes, il me prend, au moment de partir, une grosse fièvre avec des frissons. Fièvre telle, que je suis obligé de m’allonger sur le canapé de la grange des amis pendant que tout le monde part en promenade. Et me voici mi dormant, mi tremblant, faisant un très long cauchemar où j’étais poursuivi par les allemands dans les bois … A mon réveil et au retour des promeneurs, j’apprends que cette grange s’appelait « le repos » parce que c’est là que passaient leur dernière nuit, avant de passer la frontière vers l’Espagne, tous les « migrants » qui après avoir passé la ligne de démarcation du grand-père se retrouvaient au bout du « chemin de la liberté ». Chemin qui depuis la Charente menait, en passant par Agen et Toulouse, jusqu’à mon pays d’adoption l’Ariège et particulièrement à Saint Girons. Étonnant, cette réaction corporelle dans ce lieu.

Enfin, quelques jours plus tard, un ami suisse allemand nous rend visite dans la ferme, nouvellement achetée, dans le but d’y soigner des chevaux douloureux du dos. Cette ferme est située à l’entrée nord-est de Saint-Girons, ville terminus des candidats au passage de la frontière espagnole qui allaient se présenter au bar « le Madrid ». Cette ferme est aussi traversée par un ruisseau de part en part, tel une ligne de démarcation, similaire à la ferme du grand père. J’ai voulu présenter mes trois chevaux de mérens, princes noirs d’Ariège, à mon ami après avoir passé le pont du ruisseau, reconverti pour l’occasion en poste frontière de la ligne de démarcation. La mère jument, chef du troupeau qui n’avait jamais tapé auparavant, a tout de suite cassé deux dents au suisse allemand.

J’ai alors compris la force de ces programmes intergénérationnels, la puissance des souvenirs qu’ils renferment.

Compris qu’en voulant être pilote, c’était assurer la sécurité en passant au-dessus de la dangereuse ligne de démarcation ou de la non moins dangereuse frontière espagnole.

Compris qu’en voulant être vétérinaire dans les Pyrénées, c’était satisfaire une injonction grand paternelle qui me demandait de régler sa dette envers les chevaux sauveurs, sans eux, sans leur comportement de fuite réussi, nous savons tous ce qu’il serait advenu de Fernand. Et je me devais de le faire là-bas au bout du chemin par lequel il envoyait ces gens. Chemin qu’il aurait sans doute volontiers pris lui-même. Régler la dette au point même de m’investir dans une ferme qui recevrait les chevaux malades. Une ferme située au point de ralliement avant le passage frontière, une ferme avec son poste de passage et sa ligne de démarcation … Une ferme où même les chevaux connaissent le rôle qu’ils ont à jouer …

Cet épisode, m’a beaucoup fait réfléchir sur le libre arbitre qui était le nôtre … Certes je n’avais pas vraiment à me plaindre du programme que Fernand m’avait concocté : un beau métier dans un beau pays et responsable d’un bout de terre nourricière.

Mais mon choix personnel dans tout cela ? Il semble ne pas exister à moins de penser que quelque chose qui serait mon âme avait, elle, accepté tout cela avant de quitter le Paradis pour descendre sur ce lieu d’expérimentation qu’est la terre.

Alain est MON ami celui qui vous regarde d’un œil bienveillant tout au long de votre vie quoique vous fassiez. Pas besoin de le voir beaucoup, il est toujours là, pas loin. Quand je lui ai raconté cette histoire, j’ai vraiment voulu qu’il cherche, se documente pour poser l’histoire de Fernand et de son leg générationnel. Car je sais qu’Alain (le tient-il d’un aïeul ?) est fait pour prendre un crayon et en trait ou en lettre mettre la poésie et la beauté en mouvement. De mon point de vue il ne s’est pas encore assez permis de le faire, alors je suis fier des lignes qu’il a enfin posées sur ces pages en hommage à Fernand.

Le Port D’aula.

En fait, il est arrivé pile à l’heure ce livre. C’est-à-dire au moment où nos gouvernants étaient capables de remettre le dimanche une médaille à un « juste » qui a sauvé des juifs de la déportation et arraché au gouvernement de Vichy et aux Nazis une proie étoilée, et, le lundi de faire voter au parlement une loi qui pénalise les justes de maintenant … En créant un délit de solidarité pour ceux qui font passer ou hébergent des migrants qui nous arrivent de la mer… Et puis récemment, en 2020, avec la pandémie de coronavirus, cette odeur de délation, d’inquisition qui traînait, de lois liberticides votées sur ordonnance, ces accélérations technologiques qui nous poussent vers « 1984 », il est bon de lire « Le Port d’Aula » où tous ceux des livres qui nous montrent des hommes qui disent et font ce qu’ils pensent juste. Des hommes qui ne font pas seulement parce que la loi, l’autorité l’a dit... Une loi qui n’est pas faite pour tous, mais faite pour maintenir un Ordre, une idéologie…

L’histoire est quand même farceuse et les décideurs sans mémoire ou opportunistes, ou bien sans scrupules selon …

Alors merci Alain à coup de mots, de phrases ciselées, de ramener un peu de la dure beauté de cette histoire à l’air d’aujourd’hui. Un aujourd’hui qui a bien besoin qu’on lui rappelle que solidarité et hospitalité n’ont pas toujours été des vains mots …. Mais peut être que notre société n’est pas tout à fait ce qu’elle pense être … Mais c’est une autre Histoire !

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1 Message

  • Fernand ..."témoigne de la perpétuelle nécessité de tendre la main"....

    il y a 1 semaine, par Nelly Laroche

    La solidarité... comme l’empathie pour le vivant, devraient, me semble-t-il, être dans nos gênes d’humains...et pourtant, force est de constater que, annihilé par le goût du profit, l’élan d’humanité disparaît sans vergogne dans les actualités de toutes sortes.
    J’étais hier à une journée de formation de la CCEAG (Compagnie des Commissaires Enquêteurs Adour Gascogne), le thème de la journée étant l’adaptation au changement climatique avec les ENR (Énergies Renouvelables), la loi Climat et Résilience avec l’objectif ZAN ( Zéro Artificialisation Nette)...etc... Au repas, la discussion s’oriente vers les catastrophes de l’année notamment les inondations successives...A ce propos, j’interviens pour dénoncer l’information comme quoi des assurances envisagent d’augmenter les primes de leurs adhérents dans les régions à risques, ce qui me scandalise, en expliquant que, quand on a la chance d’être épargné par ces catastrophes, la moindre des choses est d’être nationalement solidaire des sinistrés et je suis donc pour une augmentation pour tout le monde. Apparemment, je ne rencontre pas un soutien spontané et j’entends : " Il n’y a plus grand monde pour penser comme ça !". Je crois me défendre en ajoutant : " Mais enfin, comme pour l’assurance maladie, je ne vois quasiment jamais le docteur mais je suis contente de payer pour les autres ! ça veut dire que je suis plutôt en bonne santé !". Plusieurs confirment penser payer pour les autres mais ne s’en réjouissent pas...

    " Tu vois aujourd’hui combien nous portons sur notre dos la mémoire de nos pères". Certes, j’ai été élevée dans un milieu militant (et laïque) où la solidarité était une évidence. Et si je suis devenue enseignante, c’est bien que mon père aurait tellement souhaité être " un hussard de la République"...

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