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Publié : 25 octobre

L’Ami.

D’aussi loin que je me souvienne, il est là à côté de moi. Silencieux, invisible, lointain, mais là ...

La première fois que j’ai eu conscience d’avoir entendu parler de lui, je devais être en primaire et, je venais d’entendre dire qu’un garçon avait eu un accident de vélo et s’était coupé la langue. Déjà, ce jour-là, le futur soignant vécut dans sa chair l’énonciation du mal. Ce n’est qu’avec le temps que j’arriverai à mettre le curseur de l’empathie beaucoup plus haut pour pouvoir effectivement soigner sans en souffrir trop. En attendant ce moment, il m’a fallu avoir mal chaque fois qu’on me parlai de blessure, de fracture. Ce fut le cas ce jour-là, une grosse douleur dans la bouche.

Aussi quand il revint à l’école, guéri, le lien s’était fait et nous nous sommes suivis de classe en classe un petit moment. A vélo les mercredi après-midi. Nos parents s’appréciant, nous passions des soirées et des dimanches à jouer, à se promener, à dessiner, à écrire... Nous passâmes même des vacances ensembles à l’ile de ré. Au moment où jadis, il y avait moins de monde, pas de pont, peu de snobisme et où l’on pouvait camper sauvage dans les bois de Sainte Marie.

Combien de balades nocturnes avons-nous fait pendant que les parents dormaient ? Dans les odeurs de pin et de fougères, pieds nus dans le sable qui coulait entre nos orteils. Combien de bains au clair de lune avec les noctiluques qui rendaient la mer phosphorescente ? Combien de balades dans la forêt de la braconne jouxtant la maison familiale ? En vélo ou bien dans la nuit noire à sentir les racines d’arbres et les cailloux se dérouler sous nos pieds.

Et puis il y eu ce jour où sommés de brouetter des cailloux pour ensuite couler la dalle de ciment de leur future maison, nous avons voulu, imprégnés des westerns lus mais aussi vus dans la télévision naissante, à la manière des indiens qui devenaient frères de sang, ritualiser notre lien d’une marque blanche et poussiéreuse de pierre calcaire sur nos poignets. Nous étions devenus frères de Pierre. Une marque énergétique indélébile censée nous lier fortement.

Pourtant, la vie nous a plus ou moins éloignés. Je suivais mon chemin de vétérinaire, d’ostéopathe. Le sien fut plus chaotique. N’allant pas jusqu’au bac, il fût apprenti boulanger, puis boulanger, puis meunier. Il passa par le dessin animé, puis reprit des études et fût prof de technologie et d’histoire géographie. Et enfin inspecteur d’académie. Sacré parcours, chapeau bas. Admiration particulière pour ta ténacité, Alain, mon ami, mon frère.

A cette époque sans Messenger, SMS, et autres Whatsapp, il nous fallait écrire pour se suivre de loin et échanger nos émotions de vies naissantes. Il était doué dans l’écriture, comme pour le dessin. J’aurais aimé qu’il fût écrivain, à la machine à écrire car son écriture pressée se devine plus qu’elle ne se lit. Les courriers se suivaient en cascade et faisaient souvent la vingtaine de pages A4.

Progressivement le silence s’installa, chacun occupé dans sa vie par mille choses importantes et pressantes. Travail, enfants, hobbies. Mais chaque retrouvaille terminait la phrase entamée un an plus tôt comme si le temps n’avait pas eu d’importance.

Ainsi allait notre amitié ... Un plancher auquel on pense rarement mais qui vous porte pourtant.

Et puis ce dimanche là, tout en effectuant de gros travaux sur la ferme en plein soleil de septembre, je songeais, comme depuis quelques jours vaguement, mollement à me dire qu’il serait chouette d’aller lui rendre visite à sa nouvelle affectation corse.

Le soir au moment de me coucher, je fus pris de fièvre et de tremblements, de douleurs pendant plusieurs heures. Avais-je trop travaillé à ce point ? Non. Avais-je pu prendre une insolation ? Oui, il avait fait chaud mais à ce point là ? J’y croyais moyennement. Couvais-je une grippe, un terrible Kovide ? Non plus je n’avais pas eu, comme toujours dans ces cas là, le nez qui coule en précurseur de la fièvre.

La nuit se passa sous trois couettes et le matin, j’étais en forme et sans réfléchir je le prévins et pris les billets d’avion pour la corse pour le week-end d’après. Deux petits jours seulement, toujours coupable de m’éloigner de mes tendres fils d’attache.

Ce n’est qu’arrivé là bas qu’il me raconta que le dimanche d’avant, il s’était égaré dans le maquis, comme souvent en suivant de faux chemins, qu’il s’y était méchamment griffé, y avait eu soif, y avait passé une nuit entière, sans réseau ni google Map, et cela malgré la carte IGN, que pourtant il savait d’habitude très bien déchiffrer. Il la tenait très fort dans sa main, elle se déchira, se froissa, se tacha, mais point d’oracle satisfaisant. Malgré sa ténacité, il avait failli lâcher d’épuisement tant bouger les épines demandait de courage à la fin. Il avait bien cru y passer avant, in extremis, de voir une barre sur son portable à 2% de batterie qui lui permettait d’envoyer un SOS. Et enfin voir arriver les anges bleus du peloton de montagne.

C’est ainsi que la Corse vous accueille sans doute. En vous faisant replonger dans l’essentiel, en vous obligeant à aller au fond de vous-même. Tout le monde le dit ... Le maquis corse est d’une beauté dangereuse. Bref, une initiation maquisarde en règle !

Il ne m’avait rien dit les jours d’avant le bougre.

Mais c’est à l’écoute de ce récit calmement énoncé que j’ai su l’origine des tremblements et fièvre vécues le dimanche soir précédent : c’étaient les siens alors qu’il passait la nuit au milieu des sangliers, des épines, gavé de l’énergie puissante du soleil et incertain de la suite. C’est alors que j’ai compris l’urgence qui m’avait étreinte le lundi afin de passer le week-end suivant en corse. Le lien avec ce frère de Pierre : ce que tu vis d’important, je le vis aussi. Dommage de n’en avoir pas eu conscience avec des mots plus précis, mais nos âmes se sont parlées à ce moment, se sont sans aucun doute entraidées. Et comme toujours il suffit de se laisser vivre dans ses envies subites et ses intuitions.

Le week-end corse, se passa agréablement, culturellement, un petit soin ostéopathique quand même, on n’est pas thérapeute pour rien. Et la chaleur nécessaire de l’amitié je crois nous a fait du bien à tous les deux dans ce court séjour.

Avec pourtant des petits moments cocasses, comme le fait, moi qui ne vomis jamais en voiture, de le faire arrêter et inonder le fossé à quelques centaines de mètres de l’endroit où il avait passé cette nuit perdu, abandonné... Comme pour finir de vider ce traumatisme avant qu’il ne pourrisse dans notre être.

Le Hasard vous dis-je, le Hasard ...

Post-scriptum

 Tel est Thon : en Boîte.<<<****>>>Quand la peur ...
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 Version du 25/10/2024