Comme déjà écrit, depuis l’âge de 4 ans, je voulais être vétérinaire dans les Pyrénées. Fils d’ouvriers, j’avais transformé en hargne les affirmations de tous ces gens qui disaient à juste titre que les enfants d’ouvriers font de moins bonnes études que les autres. Certes, j’aurais pu être découragé par ces phrases assénées, martelées, à coup de statistiques et de certitudes, mais, avec des parents géniaux qui vous poussent avec constance et opiniâtreté vers vos rêves, on trace. Avec un esprit rebelle chevillé au corps qui annonce : "Puisque cela semble impossible, je le ferai ...", on balaye un à un les obstacles qui se mettent en travers et les boulets qui vous ralentissent. Et donc nous voici arrivés, après deux ans de travail harassant à Périgueux, dans une des classes préparatoires les plus mal placées de France, après avoir passé un concours dans l’école vétérinaire de Maison Alfort désarçonnant, long, ressenti à certains moments comme injuste ... Nous voici donc, le jour des résultats.
Vers 16H, le téléphone sonne en Charente, un copain qui était à Paris a lu pour moi le tableau affiché des résultats sur la grille de l’école parisienne. Et oui, Internet n’était pas encore d’actualité, ni d’autres Parcoursup. Des dinosaures ...
Je suis admis !
Immense soulagement, immense joie ... Tant d’efforts, tant de contraintes, tant d’espoirs, tant d’à-coups émotionnels enfin récompensés. Je ne suis pas dans les premiers, loin s’en faut, mais cela sera suffisant pour "intégrer" l’école de Toulouse avec mes potes et "potesses" de prépa. Tout est au mieux dans le meilleur des mondes. La fête nous attend.
Pourtant ce soir-là, au milieu de la nuit, je me réveille recroquevillé en pleurant. Moi qui me souviens si peu de mes rêves habituellement, je viens de faire un cauchemar.
Je suis assis sur un simple banc de bois au milieu d’une pièce carrelée de grands carreaux gris clair presque blancs. Cette pièce n’a pas de murs, elle s’étend à l’infini. Un espace noir remplace les murs, il n’invite pas à la découverte, je reste assis sur mon banc.
Par contre autour du banc, en cercle ... Comme si j’étais transporté à Stonehenge, des portes équidistantes. Des portes en bois avec leur encadrement. Une porte, un espace vide d’une porte, une autre, un autre espace. Une douzaine de portes en tout dans un bel arrangement circulaire.

Elles sont toutes ouvertes non pas sur le vide qui prévaut au delà du carrelage, mais sur des espaces différents que je ne peux pourtant voir, je ne peux que les pressentir.
Elles sont grandes ouvertes ...
Coup de tonnerre, bang supersonique, les portes claquent et une tristesse profonde m’étreint. J’ai l’impression que l’avenir se referme sur moi. C’est une impression tellement horrible.
Je me retrouve sanglotant, assis sur le lit. Avec cette impression terrible que l’avenir est bouclé, intangible. Alors que j’étais immensément heureux d’avoir décroché le sésame espéré depuis l’enfance, me voilà désemparé.
Il faudra quelques heures pour me calmer, me rendormir, et le lendemain je me réveillerai tard, le cauchemar complètement oublié et heureux d’entamer bientôt les études dont je rêvais.
Et si je peux aujourd’hui raconter cet épisode après l’avoir oublié tellement il était affreusement gênant, c’est qu’étrangement, il a une suite. Un rêve récurrent qui m’a permis de me souvenir de la première marche de cet escalier vers moi même, ou du moins vers une partie de moi même.
Parce que, presque 10 ans plus tard, je suis vétérinaire mixte, je soigne, des vaches, des chevaux, des chiens, des chats , etc. Mais je me suis mis en tête de faire de l’ostéopathie. Rentrant des premiers cours, en fin de nuit, je fais un rêve.
Je suis assis sur une banc de bois, dans une pièce carrelée de grands carreaux beiges très clairs. Cette pièce n’a pas de mur et des portes de bois fermées, disposées comme dans un cercle, comme à Stonehenge. Mais dans ce rêve, les portes s’ouvrent. Je me réveille. Le curseur de la curiosité placé sur "Max". Et je me souviens alors du précédent rêve, avec les portes qui se refermaient violemment. La leçon semble simple : cette discipline qui paraît si bizarre et à 1000 lieues de mes cours d’école vétérinaire semble bel et bien un moyen de m’ouvrir des horizons. Mais quelle drôle d’étrangeté que ce rêve au moment des résultats du concours vétérinaire. Bref je me laisse convaincre que je suis sur la bonne voie. Pour tout dire, un coup de pouce bienvenu tant les freins intérieurs et extérieurs sont prégnants qui m’empêcheraient d’explorer cette piste thérapeutique.
Mais ... Quelques années plus tard encore, je donne mon premier cours d’ostéopathie essentiellement à des vétérinaires dans l’organisme même où j’ai pris mes premiers cours [1]. Quatre jours de cours, principalement d’anatomie et de notions de base de l’ostéopathie.
Et bien que croyez vous qu’il arriva ? Ce fût le troisième épisode, saison 1, de notre rêve préféré.
Je suis assis sur un banc de bois dans une pièce carrelée de grands carreaux blancs jusqu’à l’infini. Il n’y a pas de murs, les portes sont maintenant ouvertes et, surgissant de nulle part, un personnage rentre dans le cercles des portes. Sans même un mot, sans même me lever, je lui désigne une des portes et il avance vers un des univers que chaque porte dessert, vers son destin, je le vois passer la porte et disparaître.
Là encore le message est clair : "...donne des cours pour aider ton prochain à parcourir ce chemin que maintenant tu commences à avoir bien exploré".
Mais, si dans le premier rêve prédominait la notion d’emprisonnement, si dans le deuxième une libération se ressentait, dans celui ci, les émotions qui prédominaient étaient de la satisfaction et de la fierté. Mais, au fil du temps, quand je repensais à ces trois rêves surgissaient colère, insatisfaction...
Le temps avançait et J’avais maintenant donné des cours à de nombreux (ses) élèves, je leur avais fait passer des portes vers eux mêmes, vers leur capacité à ressentir l’autre pour travailler avec leur mains, ils allaient vers des ailleurs et moi même, je restais vissé sur mon banc immobile.
Et pendant longtemps, tout en continuant à faire mon travail de passeur, j’en éprouvais même une certaine jalousie ...
Jusqu’au jour où survint un quatrième rêve et pour l’instant dernier de la série.
Je rêvais une nuit que j’étais toujours assis sur mon banc de bois, avec mes portes ouvertes et cette fois, personne à faire passer par les portes... Alors je décidais de me lever comme pour passer une des portes enfin ... C’est alors que le banc se replia, se colla sous mon bras comme un simple pliant de camping et que les portes bougèrent avec moi. Je pouvais aller n’importe où, les portes me suivraient, inutile de chercher à les passer, elles étaient moi. L’avenir était cette fois complètement ouvert.
Et là, un grand rire me secoua et me secoue encore...